Éditions GOPE, 396 pages, 13x19 cm, 24 €, ISBN 978-29535538-3-3

vendredi 13 février 2015

Une passionnante épopée urbaine

À la poursuite de Suzie Wong est l’histoire d’un urbaniste américain qui vient en congé sabbatique à Hong Kong.
À son arrivée, il aperçoit sur le ferry la silhouette d’une femme qui lui rappelle l’héroïne d’un film qu’il a beaucoup aimé, Le monde de Suzie Wong de Richard Quine. Il capture l’image de cette femme et décide de la retrouver pour vivre avec elle une aventure amoureuse.

La colline de l’adieu

L’auteur nous entraîne au cœur de la cité cosmopolite dans une passionnante épopée urbaine où se mêlent tour à tour l’amitié, l’amour, l’espérance et le tourment.
Cette longue quête faite de péripéties, de rencontres étonnantes et d’obstacles divers, parfaitement appréhendés par l’auteur, nous captive d’un bout à l’autre du roman. 
À cette dimension romanesque, s’ajoute l’environnement multiculturel de cette cité, mais aussi nous plonge dans l’influence du cinéma et de son impact sur nos vies.
Tous ses éléments harmonieusement conjugués donnent une valeur singulière à l’histoire sentimentale de cet homme et nous incitent à vouloir le suivre…

Joëlle Saumon, janvier 2015.

mardi 13 janvier 2015

Retrouvailles

We meet again, South China Morning Post.
« J’ai le double de ton âge, Suzie » dit le Robert Lomax interprété par William Holden dans Le monde de Suzie Wong, cette histoire d’amour mythique entre un artiste et une prostituée, entre un Occidental et une Asiatique, sur fond de colonialisme, à Hong Kong.

Nancy Kwan avait 19 ans lorsqu’elle partagea la vedette avec un Holden quadragénaire et mûr, dans le film iconique tiré du roman de Richard Mason. Lomax a beau protester qu’il est trop vieux pour elle, leur liaison se développe et, finalement, Kwan et Holden s’en vont marchant main dans la main sous un beau coucher de soleil tropical avant d’être payés et de s’en aller tourner d’autres films.

Mais que devinrent Suzie Wong et Robert Lomax ? Dans […] le roman, Lomax a acheté des billets d’avion pour repartir à zéro au Japon, bien conscient que la seule façon pour Suzie d’échapper à son passé est de quitter Hong Kong.
Avec la plupart des romans, après la fin, on en reste là, on ne cherche pas à aller plus loin. Parce qu’il s’agit d’une œuvre sortie de l’imagination de quelqu’un.
Ainsi, l’idée qu’un auteur a eu récemment l’audace d’écrire une suite à Emma de Jane Austen, imaginant ce qu’il advient d’Emma et de M. Knightley après qu’ils furent arrosés de confetti à la sortie de l’église du village est tout simplement scandaleuse.
Toutefois, le cas de Le monde de Suzie Wong est différent, Richard Mason avait lui-même laissé la porte ouverte avant de mourir en 1997.

James Clapp, un universitaire américain, est tombé amoureux de Nancy Kwan et de Hong Kong quand il vit le film, The World of Suzie Wong, à l’âge de 19 ans. Bien qu’il ait toujours aimé écrire, il se consacra surtout à sa carrière de professeur en urbanisme, ce qui l’amena à enseigner à de nombreuses occasions à Hong Kong pendant une dizaine d’années. […] For Goodness Sake [À la poursuite de Suzie Wong], dont le titre est un clin d’œil  à une expression souvent employée par Suzie [dans le film], sous-titré « un roman sur ce qu’il advint de Suzie Wong » tourne autour de la possibilité du retour de Suzie et de Robert à Hong Kong.

Ce roman est écrit à la première personne et démarre avec l’arrivée du protagoniste, le Pr Marco Podesta, dans la Colonie. Il enseigne l’urbanisme en Californie, à l’instar de James Clapp, et sa venue coïncide avec un grand changement : la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Podesta s’installe à Sheung Wan, le quartier préféré de Clapp. Il fait des recherches sur la cité, enseigne et tombe amoureux d’une Hongkongaise, Lily.
Retrouver la vraie Suzie devient une obsession après qu’il a entrevu un tableau dans la vitrine d’une galerie de Sheung Wan, le portrait d’une jeune Chinoise avec une queue-de-cheval en cheongsam qui, il en est convaincu, est Suzie Wong. Une seule chose est sûre : le tableau n’est pas à vendre. L’enquête sur ce qui se cache derrière ce portrait est le pivot autour duquel gravitent les autres éléments de l’intrigue pour finir avec un coup de théâtre final bien ficelé.
Trois Chinoises ont un rôle important dans ce livre : Lily avec qui Podesta entretient une relation amoureuse qui sera mise en péril ; Audrey, une collègue de travail que Podesta considère comme sa petite sœur et la tante d’Audrey. Parmi les personnages, il y a ce peintre qui tient une galerie d’art, l’auteur du fameux portrait ; il s’appele Robert Lomax, il pourrait bien être le [vrai] Robert Lomax tout comme il pourrait bien être un peu dérangé.

 « J’étais sur un Star Ferry [en 2000], dit Clapp, quand je vis de dos une jeune Chinoise avec une longue queue-de-cheval. Oui, j’en suis conscient, il y a des milliers de femmes à Hong Kong qui ont une queue-de-cheval, mais, pour je ne sais quelle raison, un film a démarré dans ma tête et je me suis mis à prendre des notes. »
Le roman de Clapp se déroule, entre autres, à Wanchai, dans son bien-aimé quartier de Sheung Wan, sur le Star Ferry et revisite une histoire qui date d’une cinquantaine d’années. À un moment, Podesta observe ce qu’il voit de la fenêtre de son appartement et imagine la vie de tous ces gens qui habitent autour de lui :

« Un peu plus loin, dans ces logements enténébrés ou dans ceux qui semblent toujours éclairés par une seule ampoule, il y a sûrement un couple qui fait l’amour, leurs corps baignés de sueur ; un autre couple s’ignore, chacun emmenant dans son sommeil les mauvaises paroles de la journée qui lui restent sur le cœur ; un jeune homme se masturbe aussi silencieusement que possible dans une salle de bain ; une jeune fille potasse son examen parce qu’elle veut vivre un jour dans un studio qui ne soit pas plus petit que le dressing d’une maison sur le Pic ; une amah s’est assoupie devant la télé où est diffusée une émission tapageuse en cantonais ; une femme pleure sur son oreiller et un vieil homme malade s’endort pour la dernière fois. » [extrait du chapitre 6]

Clapp, aujourd’hui grand-père, s’est lié d’amitié avec Nancy Kwan qui a écrit une [courte] préface au roman. « Nous avons quasiment le même âge, à quelques mois près, mais elle, elle paraît vingt ans plus jeune ! » dit Clapp qui a été mis en relation avec Nancy Kwan par l’intermédiaire de Brian Jamieson, un réalisateur [néo-zélandais] qui est en train de tourner un documentaire sur l’actrice […]. Clapp ne s’adresse pas à un public particulier, il s’est contenté d’écrire le roman qu’il avait envie d’écrire. Son livre a un côté cinématographique. « J’ai été influencé par Denis » dit-il, en faisant référence à son ami le réalisateur oscarisé Denis Sanders. Mais il s’agit bien d’un roman.
[…]

Nancy Kwan et James Clapp.

En 1994, Richard Mason, dans la préface d’une réédition The World of Suzie Wong, a écrit que Suzie serait probablement divorcée depuis longtemps ou morte, ce qui n’est pas forcément ce que les lecteurs ou les gens qui ont vu le film auraient envie d’entendre au sujet de leur héroïne. Dans son roman, Clapp s’amuse avec les personnages de Wong et Lomax, parce qu’ils sont fictifs. Malgré leurs déguisements, on reconnaît aussi quelques personnes réelles, comme Christine Loh Kung-wai qui a un petit rôle ; il n’y fait toutefois pas référence directement, pour « éviter toutes poursuites » dit Clapp.
Urbaniste dans l’âme, Clapp laisse transparaître son amour pour les paysages urbains. Il va jusqu’à comparer la cité à une prostituée qui a des clients à satisfaire. Son protaganiste, après avoir rompu avec sa petite amie, se morfond sur la promenade Tsim Sha Tsui. Une image de la ville qui met en relief sa solitude.

 « Vous pouvez aimer une ville, mais n’attendez pas d’elle la réciproque. »

Annemarie Evans, South China Morning Post, avril 2008.

vendredi 9 janvier 2015

R&R, du Repos et de la Récréation à Hong Kong

À la poursuite de Suzie Wong est un roman protéiforme qui est ponctué de flash-back, résurgences de souvenirs du protagoniste liés à la guerre du Vietnam. Marco Podesta (ainsi que l’auteur) fait partie de cette génération qui a vécu cette guerre et, comme de nombreux Américains sous les drapeaux à cette époque, il est venu pour la première fois à Hong Kong lors d’une permission dite « R&R ». 

Toutefois, Marco Podesta n’est pas Rambo, non, c’est un pacifiste, mais pas de ceux qui militent tranquillement bien en sécurité au pays : il avait préféré un autre type d’engagement, beaucoup plus dangereux aussi bien physiquement que moralement...


Évacuation sanitaire, guerre du Vietnam.

 « En me brossant les dents, je me fis une grimace dans le miroir, en guise d’autodérision, déformant mon visage pour lui donner un air loufoque comme j’en ai l’habitude depuis mon enfance à chaque fois que je commence à me prendre trop au sérieux ou quand je suis inquiet… Il n’y avait pas de quoi s’inquiéter, si ce n’est que je m’étais empressé de raconter à quelqu’un, Ed en l’occurrence, ce qui venait juste de m’arriver parce que ça avait quelque chose d’irréel, quelque chose qu’une personne qui se tient au bord du gouffre de la démence pourrait voir dans ses derniers moments de lucidité. Ma première visite à Hong Kong en était certainement responsable.
Du Repos et de la Récréation, disait l’hurluberlu dans le miroir, quelle putain de connerie !

© Tom Byrne, 1969.

J’ai apporté la cartouche avec moi, celle de M16 sur laquelle un joaillier chinois de Cholon avait gravé mon nom et mon matricule, en 1969. Qu’est-ce que je pouvais bien avoir dans la tête à cette époque ? Comme si le fait de trimballer une cartouche avec mon nom écrit dessus allait me rendre invulnérable aux balles ! C’était le genre de comportement superstitieux que la guerre et la peur de mourir vous poussaient à adopter. De toute façon, il est peu probable qu’une balle de M16 me fasse passer de vie à trépas maintenant.
Toutefois, je savais qu’il y avait une autre raison pour laquelle je tenais à la garder avec moi. C’était un aide-mémoire, un memento mori, mais pas de ma mort. Manifestement, je suis vivant et en train de me faire des grimaces dans le miroir, pas comme ce pauvre type, pas comme Quigley. Mon visage a été la dernière chose qu’il a vue dans cet enfer au Cambodge. Quelquefois, je me dis que son visage sera le dernier que je verrai.
Je m’assis sur le rebord de la fenêtre, portant mon regard en direction des milliers de lumières provenant des appartements exigus de Hong Kong, alors que mon esprit revenait encore une fois à ce jour. »

Extrait du chapitre 4. James A. Clapp.

jeudi 8 janvier 2015

La « redépendance » de Hong Kong

[…] Ce roman s’inspire d’un autre, Le monde de Suzie Wong, écrit en 1957 par Richard Mason, […] un classique de la littérature anglophone. Il a donné lieu à une adaptation au cinéma, au théâtre et à la création d’un ballet.
L’éditeur GOPE le propose depuis 2011 en français, aussi ne faut-il pas s’étonner que celui-ci publie la version en français À la poursuite de Suzie Wong de l’ouvrage For Goodness Sake: a novel of the afterlife of Suzie Wong sorti en version originale en 2008.
En fait, il existe un autre prolongement du roman du départ puisque déjà en 1992 une suite lui avait été donnée par George Adams, sous la forme d’une nouvelle du nom du Retour de Suzie Wong. L’héroïne, devenue la veuve Lomax, revenait à Hong Kong, plusieurs décennies après avoir quitté cette colonie britannique.

Article Critiques Libres

À la poursuite de Suzie Wong interroge non seulement sur la réinsertion sociale d’une ex-prostituée chinoise, mais aussi sur les craintes des conséquences de voir remis sur le tapis ses anciennes activités, l’évolution des origines des filles de joie dans la Colonie toujours britannique (venant aujourd’hui des Philippines et d’Indonésie pour une bonne part), la fascination des Occidentaux pour celles-ci avec la perspective de les épouser ou non (durant la guerre du Vietnam, Hong Kong était un lieu de plaisir pour les GI), les tensions liées aux différences culturelles, la double culture des enfants de couple eurasien qui fait qu’on se demande si face à telle situation ils vont réagir plutôt comme Chinois ou Ocidentaux, l’attitude variée (de la franche hostilité à la satisfaction nationaliste) face à la « redépendance » de Hong Kong en 1997, la soif de s’enrichir, le monde des galeries d’art, les films ayant eu pour lieux d’action la colonie britannique et l’évolution de l’urbanisme dans ces territoires. Tout cela au travers d’une histoire d’amours complexes.

Il est à noter que sort de manière concomitante le roman graphique chez le même éditeur Suzy Wong et les esprits.

Jules Romans.
4 septembre 2014.