Éditions GOPE, 396 pages, 13x19 cm, 24 €, ISBN 978-29535538-3-3

lundi 24 mars 2014

Une trêve de l’incrédulité

Le cinéma requiert de la part du spectateur qu’il s’accorde une « trêve de l’incrédulité », selon l’expression consacrée. Les films, du moins les fictions, ont la faveur des âmes romantiques et pas celle des gens plus terre-à-terre. Les films nous montrent la vie comme nous voudrions qu’elle soit ou, au contraire, comme nous voudrions qu’elle ne soit pas. Mais cette vie est reconstituée de toutes pièces − elle a d’abord été analysée, puis synthétisée and recréée en une œuvre d’art.

C’est que pense Marco Podesta, un professeur d’urbanisme grand amateur du 7e art en congé sabbatique à Hong Kong qui, contre attente, retrouve son engouement juvénile pour une actrice d’origine chinoise à l’occasion de la traversée du port en ferry. C’est le début d’une aventure qui lui fournit l’occasion de réfléchir à la relation entre la fiction cinématographique et la réalité.

Si la vie réelle est le prérequis à celle qui se déroule de l’autre côté de l’écran, alors que se passe-t-il après la fin du film, après que le couple qui s’est rencontré et est tombé amoureux à l’écran s’en va marchant main dans la main, sous un beau coucher de soleil, alors que la musique et le générique de fermeture démarrent ?


C’est ce qui s’est passé quand William Holden et Nancy Kwan ont fini de tourner Le monde de Suzie Wong, en 1960, abandonnant leur personnage de Robert Lomax et de Suzie Wong pour en interpréter d’autres. Robert et Suzie sont, quant à eux, restés dans cet univers où règne notre trêve de l’incrédulité, marchant main dans la main pour toujours sous ce coucher de soleil asiatique. Mais qu’elle a été ensuite la vie du vrai Robert et de la vraie Suzie qui leur ont servi de modèle ?


Cette traversée en ferry n’aurait pu rester qu’une expérience de déjà-vu si Podesta n’était pas ensuite tombé par hasard sur un mystérieux portrait d’une jeune et belle Chinoise dans une galerie du vieil Hong Kong.

Un portrait peint par un type qui se fait appeler, qui croit être, ou qui pourrait être, « Robert Lomax », un portrait qui obsède Podesta et met en péril sa toute nouvelle liaison avec une Hongkongaise et qui l’amènera à se lier par de nouvelles et improbables amitiés. Au cours de ses recherches, Podesta nous emmène dans le saint des saints du Hong Kong Club, en passant par l’université et ses manœuvres politiciennes, le rutilant quartier de Central, les rues et venelles crasseuses de Sheung Wan et les bars tape-à-l’œil de Wanchai.


Sa quête, qui est ponctuée par des réminiscences sanglantes de la guerre du Vietnam, ressuscite sa capacité à aimer qui avait été tragiquement amputée dans les rues de Paris.

Derrière le vaste trompe-l’œil multicolore que sont les fenêtres et les façades polies de Hong Kong, se trouve la réalité d’une cité qui n’échappe pas à l’œil acéré de l’urbaniste. Mais l’homme ne peut s’empêcher d’aimer une ville qui, semble-t-il, le lui rend mal, une ville qui, sur le point d’être rétrocédée, va bientôt être sous le joug d’une autre. Pourtant, elle reste à ses yeux la manifestation urbaine de Suzie Wong, la fascinante prisonnière de son destin, qui vit dans ses rêves, charmante et jamais tout à fait ce qu’elle paraît être.


C’est une histoire qui est aussi mystérieuse qu’une ruelle de Hong Kong qui mène à une cour, à un escalier enténébré. C’est un mystère qui est finalement éclairci par une femme qui a appris que non seulement les films, mais aussi la vraie vie demande parfois une suspension consentie de l’incrédulité.

© ChingMing (Creative Commons)
À la poursuite de Suzie Wong est l’histoire d’un film emblématique, d’une ville exotique, d’une charmante jeune femme et d’un homme qui tombe amoureux des trois.